Dans le dernier épisode, la voix de Bruno Crémer, qui connaissait des ennuis de santé, avait été doublée par Vincent Grass. La polémique avait fait rage, à l’époque de la première diffusion de cet épisode en décembre 2005, à propos de la santé de Crémer, et, avec le recul, on retiendra le professionnalisme de l’acteur, qui avait préféré que l’épisode soit diffusé malgré ce doublage, car il savait probablement qu’un acteur n’est pas qu’une voix, aussi prenante et belle soit-elle, mais c’est une présence, une façon de jouer, une image qui s’impose… La série s’est ainsi close sur ce 54ème épisode, après 15 ans d’une grande aventure, car Crémer avait alors pris sa décision: il raccrochait définitivement le pardessus de Maigret au vestiaire… Les fans avaient espéré quelque temps qu’il revienne sur cette décision, et ils avaient fini par se faire une raison: la série s’était définitivement arrêtée, et il ne leur restait plus qu’à voir et revoir encore les DVD qui allaient enfin sortir, et à suivre les occasionnelles rediffusions sur les chaînes télévisées…
Le mystérieux chien jaune… Les producteurs avaient obtenu une option de droits sur tous les romans de la saga. Plusieurs projets d’adaptation sont donc restés sans lendemain après la fin de la série, et on ne sait pas si certains de ces projets connaissaient déjà une certaine avancée… Tout ce que l’on sait, c’est que dans les années 2003-2004, un projet d’adaptation pour le roman mythique Le chien jaune faisait partie des favoris. Charles Nemes avait été pressenti pour en assurer la réalisation. Voic ce qu’en disait Eve Vercel dans une interview en février 2003 : (question: Quel est le Maigret que vous rêvez de faire?) “Sans hésiter: «Le chien jaune» qui se passe à Concarneau mais cela demande des moyens importants. En France, c’est inimaginable parce que rhabiller un port façon années 50, c’est impayable. On pensait le faire à Cuba. On avait trouvé le port, les paquebots mais, même en hiver, il y fait trop beau. Donc, on cherche un pays froid. On y tournera avec nos acteurs comme si cela se passait en France.”
On regrettera tous que cette adaptation n’ait pas vu le jour, car Crémer y aurait été, nul doute à cela, formidable comme toujours… Et il y a tant d’autres romans dont on aurait souhaité voir une adaptation… Mais laissons là les regrets, et donnons le mot de la fin à Bruno Crémer, avec ces deux extraits d’interviews où il parle de son interprétation de Maigret, car c’est cela qu’on retiendra par-dessus tout de cette magnifique série…
“Il a une espèce de fascination pour tous les êtres qu’il rencontre, quels qu’ils soient, et c’est de cette fascination qu’il s’imbibe pour se remplir du personnage en face de lui. Il l’analyse. Cela le rapproche d’ailleurs beaucoup de la psychanalyse. Pour moi, Maigret est aussi un psy. Il a donc cette distance par rapport à l’humanité. C’est cela qui m’a passionné et que j’ai eu envie d’essayer de traduire. C’est une expérience particulière, pour un acteur, d’avoir l’occasion de suivre un personnage tout au long de ses variantes. Jamais je ne me serais attendu à faire cela, et ça a quelque chose d’un peu troublant. On pourrait y voir un risque de facilité, de routine. Je crois surtout qu’il faut faire attention à une sorte d’inhibition, il ne faut pas que l’acteur soit inhibé par le personnage, et c’est le danger auquel j’essaie toujours d’échapper. On peut aussi finir par s’imiter soi-même et par imiter l’imitation, par se mettre en abyme : c’est le danger. Il se présente avec ces personnages qu’on qualifie par cet adjectif affreux de récurrent. Mais garder une figure comme Maigret avec soi durant des années, c’est assez extraordinaire. Moi, ce qui m’intéresserait à présent, c’est de revoir les premiers « Maigret » que j’ai tournés en comparaison de ceux que je tourne actuellement. Je crois qu’ils sont très différents. Je pense que Maigret est en grande partie un personnage qui est à l’écoute, qui ne parle pas beaucoup. Moins il parle, mieux ça vaut d’ailleurs ! Mais c’est cette écoute qui est très particulière et qui ressemble encore une fois à une écoute psychanalytique. Je crois que c’est ce que j’ai pu apporter à Maigret. Je l’ai un peu détaché du caractère policier qui d’ailleurs, dans les romans de Simenon, n’est pas primordial. Le plus intéressant c’est le caractère des êtres, la crise dans laquelle ils sont plongés. Et c’est de cela que j’essaie, moi, en tant que Maigret, de m’imprégner le plus possible. Non forcément pour trouver le coupable, je ne crois d’ailleurs pas que ce soit le coupable qui intéresse Maigret. Ce qui l’intéresse, c’est chacun des êtres. Dans le puzzle qu’il aura reconstitué, le coupable apparaîtra à n’importe quel imbécile, cela finira par être évident. L’analyse des caractères, des comportements, de la misère, des blessures : c’est cela surtout qui passionne Maigret et il se trouve que c’est ce qui me passionne aussi.” (extraits d’une interview de novembre 2002)
“Au début, je ne savais pas que j’allais le jouer cinquante fois… Mais ça ne m’a pas tellement dérangé, parce que je suis un acteur de théâtre: je joue, je répète la même chose tous les soirs, et là, avec le même texte, avec les mêmes personnages en face de moi…. donc, c’est beaucoup plus répétitif de jouer une pièce de théâtre que de jouer 50 Maigret, qui à chaque fois sont différents. Et c’est cette permanence d’un personnage qui est intéressante, à travers des histoires différentes. Maigret est toujours le même, dans toutes les circonstances… enfin, il peut être parfois poussé un peu plus vers l’indulgence, ou un peu plus vers la sévérité ou vers la patience, ou vers l’exaspération… comme tout être humain, il a différentes possibilités de réagir. Il ne réagit pas toujours de la même manière, mais c’est la seule chose qu’on peut faire. On ne peut pas le séparer de sa pipe. Et ça prouve qu’il y a quand même une espèce de continuité de ce personnage, à laquelle on ne peut pas échapper. Mon Maigret, je le côtoie depuis tellement longtemps que je suis suffisamment familier et respectueux (il y a une harmonie à trouver), que le travail que je fais actuellement me paraît plus intéressant pour moi qu’avant, qu’au début. Si c’était à refaire ? Eh bien, je recommencerais, oui, oui ! C’est sûr, je le referais, parce que j’ai passé des moments formidables.” (extraits de l’interview en bonus sur les DVD)