de Un échec de Maigret à Maigret et l’Etoile du Nord: les derniers feux de la rampe

Après la quatrième saison, Crémer s’étant pris totalement au jeu, il est prêt à rempiler, et un nouveau contrat est signé pour douze épisodes. A ce moment-là, on ne sait évidemment pas que ce sera le dernier… Lorsqu’Eve Vercel est interviewée en février 2003, soit à mi-parcours de la saison, elle déclare: “Aujourd’hui, la 5e compte déjà six enquêtes terminées. Les autres sont au stade de l’écriture, ou du tournage. (question: Le départ de Bruno Crémer signifiera-t-il la fin de la série?) Ça fait 12 ans qu’il dit qu’il va arrêter parce qu’il ne veut pas être trop vieux pour le rôle mais nous, on est partis pour 30-40 ans encore (rires). Nous avons acheté les droits de diffusion pour 15 ans mais nous pouvons renouveler le contrat et comptons bien le faire.”

A la même époque, Crémer lui-même passe à l’interview: (question: Le fait de jouer dans une série ne vous a pas semblé contraignant?) “Non. J’ai fait une quarantaine de Maigret en douze ans. Ce n’est pas tant que cela et puis, ce n’est pas lassant parce que je viens du théâtre et que lorsqu’on connaît un succès, on peut rejouer la même pièce pendant un an, un an et demi, voire même deux ans. Ici j’en tourne quatre ou cinq par an ce qui assure de ne pas être saturé. Et puis, quand j’endosse le rôle de Maigret, je ne me retrouve jamais face aux mêmes acteurs ni aux mêmes histoires. A chaque fois, je remets le compteur à zéro. Il en reste encore six à tourner dans cette cinquième saison. On finit ces six-là et puis, c’est tout.”

Deux éléments à noter dans la réponse de Crémer: d’une part, le fait qu’il n’est pas fatigué en soi de jouer le rôle, malgré les craintes qu’il avait au début de la série, et d’autre part, le fait qu’il dit vouloir arrêter après cette cinquième saison. Comme il avait déjà dit la même chose plusieurs fois à la fin des autres saisons, on ne sait pas si on doit le croire… Mais cette fois, cela fera bientôt quinze ans que cela dure, Crémer commence à prendre de l’âge, et peut-être va-t-il falloir se faire à l’idée que cette saison sera la dernière…

La cinquième saison démarre avec l’adaptation d’un roman écrit par Simenon à son retour en France, après l’aventure américaine, et avant l’installation en Suisse: Un échec de Maigret. Le scénario est signé Steve Hawes (celui-là même qui avait été à l’origine de la série…) et Claire Level. La réalisation est confiée à Jacques Fansten. Le scénario suit d’assez près la trame du roman, avec quelques modifications habilement amenées. La grande innovation de cette cinquième saison se trouve dans les décors des bureaux de la PJ, qui restent semblables pour toute la saison et sont sans doute les plus remarquables de toute la série. Crémer, quant à lui, avec l’autorité dans le rôle qu’il a acquise, se permet une certaine distanciation avec la silhouette du commissaire (il a non seulement abandonné manteau et chapeau, mais laisse aussi tomber la cravate, du moins dans cet épisode et le suivant). Néanmoins, la chose passe bien, car on sent que Crémer joue maintenant ce personnage totalement “de l’intérieur”, il se l’est incorporé… Comme il le dit dans une interview de mai 2003: “Quand on tient un personnage depuis tant d’années, on peut s’autoriser des libertés avec son créateur. Il nous l’a confié, comme l’on confierait un enfant abandonné à une institution. Je suis un peu le père adoptif de Maigret, l’un des nombreux pères adoptifs.”

Le deuxième épisode est une adaptation d’un roman de la période Gallimard: Signé Picpus. Jacques Fansten en signe le scénario et la réalisation. L’adaptation est assez fidèle à l’intrigue du roman, et les quelques modifications passent bien. Une belle brochette de seconds rôles, et un Crémer en pleine forme…

L’épisode suivant est une adaptation d’un roman écrit par Simenon depuis sa résidence helvétique, L’ami d’enfance de Maigret. On retrouve Laurent Heynemann à la réalisation. Le même signe aussi l’adaptation, avec Pierre Fabre. Les seconds rôles sont très bons.

L’épisode suivant est encore une adaptation d’un roman écrit en Suisse: Les scrupules de Maigret. On retrouve Pierre Joassin à la réalisation, et de facto ou presque, l’action est délocalisée en Belgique. Une très bonne adaptation, co-signée Pierre Joassin, Michel Grisolia et Pierre Granier-Deferre, et de très bons seconds rôles. La prestation de Crémer est, naturellement, excellente…

L’épisode suivant est une adaptation d’une nouvelle où n’apparaît pas Maigret: Les petits cochons sans queue. C’est à nouveau Steve Hawes et Claire Level qui signent le scénario, où la présence de Maigret est habilement justifiée. Un très bon épisode, où la charmante Vahina Giocante donne la réplique à Crémer. On retrouve Charles Nemes à la réalisation. Il est interviewé à ce propos en mars 2004: (question: En quoi ce “Maigret” est-il différent ?) “Il est plus léger car le mort n’intervient qu’aux deux tiers de l’épisode, mais aussi plus sentimental et plus ludique d’un point de vue visuel. Maigret se trouve en province, au soleil. En général, il pénètre un milieu pour interroger les gens. Là, il sort de sa ligne habituelle et s’implique auprès d’une jeune fille qui trahit les codes de sa caste pour faire appel à lui. C’est le deuxième épisode que je réalise. Bruno Cremer a créé un Maigret ébouriffant d’intériorité et de retenue. Moi, j’essaie de me rapprocher de ses respirations, d’apporter des touches personnelles grâce à la lumière, aux décors. Nous avons tourné “les Petits Cochons sans queue” à Cuba où les rues, les arcades me parlaient. Il y a plus de plans extérieurs car l’histoire raconte une errance. Je me suis amusé à jouer avec les voitures des années 1950, que l’on voit passer comme les éléments banals qu’elles étaient à l’époque, et avec la musique (tango, cha-cha-cha). Il y a de l’humour chez Simenon ! Dans cet épisode, Maigret entretient un rapport taquin avec un commissaire local. Cela laissait la place à plus d’humour que d’habitude. Et Bruno Crémer est un homme extrêmement drôle. Il a l’oeil qui frise !”

L’épisode suivant est une adaptation d’un roman écrit par Simenon en Suisse, Maigret et le clochard. Le scénario est signé Christian de Chalonge et Dominique Garnier, et la réalisation est assurée par Laurent Heynemann. Un tout grand épisode, avec une pléiade d’excellents seconds rôles.

L’épisode suivant est une adaptation d’un roman de la période Fayard, L’ombre chinoise. On se souviendra peut-être de l’interprétation de Mme Martin par Tsilla Chelton dans l’épisode de la série avec Jean Richard, et ici, on retiendra la prestation de Germaine Boisson dans le même rôle. Mentionnons aussi Estelle Skornic dans le rôle de Nine. Le scénario est signé Laurence Kilberg, et on retrouve Charles Nemes à la réalisation.

L’épisode suivant est une adaptation d’une nouvelle, Monsieur Lundi. Steve Hawes et Claire Level signent le scénario, et la réalisation est confiée à Claudio Tonetti. C’est Bruno Crémer lui-même qui a proposé celui-ci. De beaux seconds rôles et un beau développement de l’intrigue de base.

L’épisode suivant est une adaptation d’un roman de la période américaine, Maigret en meublé. Le réalisateur est Laurent Heynemann, qui co-signe l’adaptation avec Michel Grisolia. Un très bel épisode, avec la prestation de Annie Gregorio et Maria Schneider. Maigret alias Crémer se plonge avec délectation dans ce petit monde d’un meublé parisien…

L’épisode suivant est une adaptation d’une nouvelle, La vieille dame de Bayeux. Il a ceci de particulier que, tout en étant très proche du texte original (ce qui est plutôt rare dans les adaptations de nouvelles), il réussit en même temps à être l’épisode ayant la plus longue durée. Le scénario est signé Steve Hawes er Claudio Descalzi, et la réalisation est confiée à Frank Apprederis. Mentionnons les seconds rôles excellents, en particulier Vanessa Larré, Vincent Winterhalter et Thierry Fortineau. Crémer joue très juste.

L’épisode suivant est encore une adaptation d’une nouvelle, mais cette fois sans Maigret, Sept petites croix dans un carnet. On adapte le scénario pour y justifier la présence de Maigret, ce qui se fait sans peine, car le texte de la nouvelle origine présentait un certain commissaire Saillard dont les façons de faire n’étaient pas sans rappeler celles du commissaire à la pipe… Le scénario est signé Steve Hawes et Claire Level, et la réalisation est de Jérôme Boivin. Rémi Martin et Didier Agostini sont parfaits en frères antagonistes. On retrouve par moment l’ambiance “noire” des débuts de la série.

Le dernier épisode de la saison – qui va se révéler aussi le dernier de la série – est une adaptation d’une nouvelle, L’Etoile du Nord. On retrouve trois grands noms pour clore la série: les scénaristes Pierre Granier-Deferre et Michel Grisolia, et le réalisateur Charles Nemes. Un intéressant duel entre Maigret et la jeune Céline, fort bien interprétée par Lizzie Brocheré.