De Maigret et l’écluse no 1 à Maigret a peur: entre humour et drame, ou comment intercaler la légèreté dans une saison au ton sombre
Après la première série de douze épisodes, Crémer s’est pris au jeu, et il accepte de signer un nouveau contrat de douze épisodes. Le succès est au rendez-vous, et l’acteur a encore plus d’un tour maigretien dans son sac…
Le premier épisode de cette deuxième “saison” est une adaptation d’un roman de la période Fayard, L’écluse no 1. L’épisode est tourné en partie en Tchéquie, et l’atmosphère psychologique est aussi grise et embrumée que les décors…. Le ton est donné: cette deuxième saison commence dans le dramatique, et on retrouve presque l’ambiance du premier épisode de la série. Jean Yanne campe un Ducrau plus vrai que nature, les bureaux de la PJ sont toujours aussi poussiéreux, et on retrouve Jean-Claude Frissung en un convaincant Janvier.
Le deuxième épisode est une adaptation d’un roman de la période Gallimard, Cécile est morte. Ce roman avait été le premier adapté pour la série avec Jean Richard, et le démarquage entre les deux séries est ici très fort: l’épisode avec Jean Richard suivait de près le roman, et l’épisode avec Bruno Crémer connaît passablement de modifications: focalisation importante sur le personnage de Gérard et sa relation avec sa soeur, introduction du personnage de l’amie de Juliette, qui n’existe pas dans le roman, enquête parallèle sur les légionnaires. Claude Piéplu est extraordinaire dans un rôle à contre-emploi, et il apporte une légère touche d’humour noir dans un épisode bien sombre…
L’épisode suivant est une adaptation d’un autre roman de la “période américaine” de Simenon, Maigret se trompe. Joyce Bunuel (la seule femme à avoir réalisé un épisode de la série !) focalise l’histoire sur les personnages féminins, et pour le scénario, on a fait appel à Dominique Roulet, qui va signer un certain nombre d’adaptations pour la série. Il y apporte une touche caractéristique de légèreté et d’humour, qu’on retrouvera dans les autres épisodes adaptés sous sa plume.
L’épisode suivant est encore une adaptation d’un roman de la période américaine, Maigret et la vieille dame. Les personnages qui entourent Maigret sont très bien campés: Odette Laure en vieille dame délicieuse qui cache bien son jeu, Béatrice Agenin en séductrice chic, et Bernard Freyd en député naïf.
L’épisode suivant a ceci de particulier, que pour la première fois, c’est une nouvelle et non un roman qui est adapté. Les scénaristes en sont Dominique Roulet et Pierre Granier-Deferre, qui en signe aussi la réalisation. Granier-Deferre est un habitué de Simenon, et les producteurs tenaient à l’avoir, comme le rappelle Eve Vercel dans une interview de février 2003: “Parmi nos auteurs-réalisateurs, Claude Goretta et Granier-Deferre sont ceux qui étaient les plus proches de Simenon. Ils en ont réalisé trois chacun. Comme Denys de la Patellière et Laurent Heynemann, l’ex-assistant de Tavernier. Pierre Joassin aussi en a fait plusieurs. Pierre Granier-Deferre en a écrit sept, certains avec Dominique Garnier. C’est nous qui l’avons contacté: Granier-Deferre, on se serait damnés pour l’avoir!”
Et Granier-Deferre signe, avec ce premier Maigret, une réussite: il propose un adaptation qui ne trahit pas Simenon, introduit une bonne dose d’humour, et filme le tout en un huis-clos convaincant. Quant à Crémer, il s’en donne à coeur joie pour dire ces dialogues bourrés de drôlerie. On est très loin du Maigret campé stoïquement des débuts de la série, et Crémer réussit cependant le tour de force de nous y faire croire… Comme il le dit dans plusieurs interviews, il y est aidé par le fait que Simenon n’a pas non plus toujours montré son personnage sous le même jour, et qu’il l’a fait évoluer en finesse et en nuances: “Un scénariste m’a dit un jour : ‘on t’a confié Maigret, maintenant, tu en fais ce que tu veux.’ Je ne m’en suis pas privé !”; “Cela fait dix ans que je joue Maigret. Il a sûrement évolué avec moi, comme il a évolué avec Simenon. La vie est mouvante et c’est heureux. Si j’avais dessiné un personnage immuable, quelle monotonie !”
L’épisode suivant est une adaptation d’un roman de la période américaine: Les vacances de Maigret. On trouve Pierre Joassin aux commandes, et le réalisateur en profite pour délocaliser l’action en Belgique. On invente, pour la cause, une soeur et un beau-frère de Mme Maigret qui habitent le plat pays. Dans une interview de décembre 1994, sur le tournage de cet épisode, Bruno Crémer affirme: “Crémer-Maigret, c’est bien fini! Douze épisodes, c’était déjà beaucoup. Vingt-quatre, ça suffit! Je n’ai pas choisi ce métier pour ne plus jouer que Maigret sur la fin de ma vie. Lors de la première série, j’avais encore un peu de temps pour faire du théâtre. Depuis que nous avons commencé la seconde et que nous enchaînons les épisodes les uns après les autres, je ne fais plus que ça. Sans parler de l’aspect éprouvant du rôle puisque tout tourne autour du commissaire, ce qui implique d’être là en permanence pendant les vingt-cinq jours de tournage que nécessite chaque téléfilm.”
Il reste donc six épisodes à tourner pour honorer le contrat. Crémer s’arrêtera-t-il vraiment à la fin de cette deuxième saison ? On le saura plus tard…. En attendant, les épisodes s’enchaînent.
L’épisode suivant est à nouveau une adaptation d’un roman Fayard, L’affaire Saint-Fiacre. Après le film mythique avec Jean Gabin, quel va être le ton de cette nouvelle adaptation? C’est Alexandre et Denys de La Patellière qui s’y risquent, et si l’épisode est une réussite (on peut citer la très belle prestation de Jacques Spiesser en comte de Saint-Fiacre, et les quelques trouvailles dans le scénario, comme la relation entre Maigret et Marie Tatin), on mettra un petit bémol sur la présence de Mme Maigret incarnée par Anne Bellec… Pour le reste, de belles images dans les tons bleutés du souvenir…
On reste dans les belles images et les romans Fayard avec l’épisode suivant: Maigret et le port des brumes. Les seconds rôles sont tous excellents, et le réalisateur Charles Nemes signe là son premier Maigret: une réussite.
L’épisode suivant est une adaptation d’un roman de la période Fayard, La tête d’un homme. Pour réaliser l’épisode, on fait appel à un Tchèque, Juraj Herz, qui signe une adaptation très dramatique, mais aussi une très grande beauté des images.
L’épisode suivant est à nouveau une adaptation d’un roman Fayard: Un crime en Hollande. Besoins de coproductions obligent, on établit, par une astuce de scénario, les quartiers de tournage en Finlande. On retrouve avec plaisir l’inspecteur Ari qu’on avait découvert dans Maigret et le fantôme, et Maigret se laisse tourner autour par la jolie Leena. Quelques touches d’humour apportées aussi par Robin Renucci en pleine forme. Dieu qu’on est loin des atmosphères brumeuses des débuts de la série !
L’épisode suivant est une adaptation du premier roman écrit par Simenon en France, après son retour d’Amérique: Maigret tend un piège. Ce roman avait été un des seuls à ne pas être adaptés pour la série avec Jean Richard. Avait-on eu peur de toucher au mythe du film avec Jean Gabin ? Quoi qu’il en soit, cette fois, on se lance, c’est Bernard Marié qui signe le scénario, et on fait appel à nouveau à Juraj Herz pour la réalisation. Le metteur en scène signe un épisode très noir, comme l’est la trame de l’intrigue du roman. Crémer campe un Maigret extraordinaire d’empathie.
Le dernier épisode de cette deuxième saison est une adaptation d’un roman de la période américaine, Maigret a peur. On retrouve aux commandes le réalisateur Claude Goretta, qui signe là son troisième Maigret, et comme à chaque fois, c’est une adaptation très fidèle au roman qu’il propose.